Critiques romans

Slayers roman 17 : Retour Lointain / Le long chemin du retour

遥かなる帰路 - The Long Road Home.


Scénario : Hajime Kanzaka
Illustrations : Rui Araizumi
Parution : 19 octobre 2019




Critique garantie sans spoiler (ou presque)

2012 : Espoir

Nous sommes le 24 juillet. Tout le fandom international se réunit pour suivre l'émission dédiée à Slayers sur Nicovideo et intéragir avec Kanzaka-san et Araizumi-san. Kanzaka semble avoir quelque chose à nous révéler, mais se retient, faute d'un projet trop peu avancé.


"Le projet sur lequel je travaille avec M. Araizumi est bien en rapport avec Slayers, mais je ne peux pas en dire plus pour le moment au risque de me faire tirer les oreilles".
Kanzaka pour Nicovideo


Nul doute que le 3e arc des romans, cette arlésienne mythologique fantasmée depuis la première tentative non canonique sur SNES avant même la fin du 2e arc, est sur les rails. Mais la réserve est de mise. Il y a beaucoup à perdre. C'est une chose d'avoir arrêté la Main Series à la fin du second arc en lui offrant une fin, cela en est une autre de risquer de relancer la machine pour un nouvel arc qui risquerait de ne pas rencontrer son public, ou pire, de ne pas être à la hauteur des 2 précédents. Car la barre est haute, l'objectif qualitatif colossal.


2000 : le bout d'un chemin

Nous sommes le 10 mai. Demon Slayer, l'ouvrage qui sera pendant 18 ans le dernier tome de la Main Series de Slayers est mis en rayon. A l'image de son héroïne, Kanzaka est épuisé.


"C'est après beaucoup de souffrances et un si long travail que je vous présente enfin le dernier volume de la série, Demon Slayer! Cela marque la fin des romans Slayers (Slayers étant également l'appellation de la Main Series)"
-Roman 15 Atogaki-


A cet instant il est évident que Kanzaka ne souhaite plus écrire de longs récits éprouvant et qu'il n'en a, de toute façon, absolument plus la force. Il est saturé. Il tardera néanmoins à prendre ses distances, continuant des années à écrire des récits plus légers pour Smash, marquant le coup pour quelques événements, comme l'écriture de Slayers Addition pour fêter la sortie de son oeuvre majeure au format numérique. Puis il comprendra enfin que la rupture n'est pas suffisante, et stoppera toute production slayeresque pendant plusieurs années. Mais l'homme est ainsi fait qu'il compose toujours avec ses contradictions. L'amour se muant en haine et inversement, car les 2 sentiments sont tout sauf antinomiques (sincères pensées Sir Conan Doyle, tu manques au monde). Leur vrai contraire se veut l'indifférence, ce que Kanzaka ne pourra jamais éprouver pour Slayers. C'est la raison pour laquelle, au fond de lui, il a toujours gardé la porte ouverte à l'écriture d'un 3e arc. Mon partenaire Shakka lui en a toujours un peu voulu de ne jamais avoir fermé clairement toutes les portes, nous laissant espérer une éventuelle suite. Pour moi il en est tout à fait incapable. Slayers occupe une place trop importante dans sa vie. Et avec le recul, il était absolument évident qu'il y reviendrait.


"Une fois encore, je serais ravi si nous pouvions nous revoir à nouveau un jour"
-Roman 15 conclusion de l'Atogaki-


Mais un retour sans énergie positive, sans moteur bien huilé, sans passion, aurait été bien inutile et dommageable. A plus forte raison que si les 2 premiers arcs sont intouchables ou presque, des bijoux intemporels, nous ne pouvons pas en dire autant des récits dérivés produits sur d'autres supports. Eux ont, en leur temps, tenté d'aller plus loin et de raconter ce potentiel 3e arc qui a toujours pour grand objectif de narrer une histoire en dehors de la barrière. Ce fut systématiquement une déception narrative par rapport à leurs ainés. On peut discuter des qualités intrinsèques de Slayers Try ou de Knight of Aqualord, mais on ne peut qualitativement pas les placer au même niveau que les productions iconiques. De fait, "au-delà de la barrière" jouit d'une bien triste réputation au sein de la franchise, une sorte de multiplication de tentatives qui ont systématiquement mené à l'échec. Un colosse indomptable. L'affronter, c'est prendre le risque de sauter le requin comme tous les autres. C'est transformer une légendaire saga littéraire en une déception. Un seul faux pas et la légende s'entache. Kanzaka aurait été incapable de relever ce défi dans les années 2000. Mais une fois les batteries rechargées...


"J'ai un peu touché à tout. Des jeux, des livres... des qui trainaient là depuis longtemps, d'autres tout nouveau, j'ai fait plein de choses différentes... c'est comme recharger une batterie, vous voyez ? Après avoir été branché pendant un loooong moment, tout d'un coup vous vous sentez capable de créer quelque chose"
-Roman 17 Atogaki-


2018 : reprise de service

Galvanisé par ses fans et accompagné de son illustrateur de toujours, Kanzaka relance officiellement la franchise en publiant, 18 ans plus tard, le 16e roman de la Main Series, mais pas pour autant point de départ de la 3e partie sur laquelle il planche pourtant depuis des années. Ce roman, Atessa no Kaikou, fait pourtant bel et bien suite au 15e, mais revêt l'aspect d'une prise de température. Malgré les péripéties qui s'y déroulent Gourry et Lina se retrouvent toujours à la même étape de leur vie à la fin dudit roman, toujours en route pour un repos bien mérité auprès de la famille de cette dernière. Il fallait impérativement savoir si le lectorat serait toujours présent après tant d'années, et produire un one shot anniversaire en était la meilleure sécurité, bien plus que de se lancer directement dans une nouvelle aventure sur plusieurs romans. C'est ainsi que certains personnages emblématiques chers aux fans réapparaissent comme Amelia, Zel et Xellos, qui écope ici de sa première apparition quasi-gratuite de toute l'oeuvre littéraire. Sans tomber pour autant dans le fanservice coutumier des autres produits de la franchise Slayers, ce 16e roman surfe quand-même davantage sur la fibre nostalgique que ses prédécesseurs et devient une sorte d'ovni. Il n'en demeure pas moins la meilleure production Slayers depuis fort bien longtemps, réintégrant un temps Zel et Amelia de manière suffisamment intelligente et pertinente pour contenter tout le monde. Fort bien accueilli par la critique et porté par des ventes confortables, Atessa no Kaikou confirme Kanzaka comme un auteur d'exception capable de reprendre la plume tant d'années après. Les voyants sont désormais au vert pour ressortir du tiroir le très Saint Graal fantasmé : le réel 3e arc !


2019 : nouvel arc, même logique

A un jour près, c'est exactement 1 an après la sortie du 16e roman que parait le 17e, le fameux Harukanaru kiro/Le long chemin du retour, un 19 octobre. Comme nous l'avons vu plus haut, le contexte est absolument idéal : Kanzaka est chaud bouillant, les fans aussi. Mais ces derniers sont-ils prêts à suivre de nouveau le vrai Kanzaka ? Celui qui ne fait absolument aucun compromis pour les fans exception faite du 16e roman ? Sont-ils prêts, après avoir consommé pendant des années le fan-service et le shipperisme dégoulinant d'un Araizumi qui n'a jamais trouvé la définition de subtilité dans le dictionnaire, à suivre à nouveau Kanzaka dans sa vision ? Car c'est bien de ça qu'il s'agit. Ce 17e roman est un pur produit du Kanzaka audacieux que l'on a toujours aimé. Celui qui, en dernier village gaulois (la totalité du reste de la franchise ayant été conquise par les shippers) préfère surprendre ses lecteurs plutôt que de leur donner ce qu'ils attendent.
Ce 17e roman sort directement du vieux four qui a vu cuir tous ses prédécesseurs. Il n'hésite pas à prendre des risques pour se raconter. Pas de Xellos gratuit, pas de Amelia X Zel, pas de Naga. On repart sur du pur Lina et Gourry. Et pour répondre à la question donc : oui le roman s'est bien vendu, oui les critiques sont positives. Le 16e roman a surement servi de tampon aux fans frustrés de l'absence de Zel et Amelia. Ils ont pu retrouver un temps leurs personnages en grande forme et peuvent accepter plus aisément un nouvel arc sans eux. Car ce que l'anime n'a jamais pris le risque de comprendre et faire comprendre sur ses dernières saisons, c'est qu'il vaut mieux un Zel et une Amelia absents ou qui n'interviennent que lorsqu'ils servent l'histoire plutôt qu'un Zel et une Amelia inutiles. Présents mais sans intérêt. Sous exploités. Parfois l'absence est le plus grand des respects, n'entâchant en rien leur héritage et leur intégrité.
Ce 17e roman respecte à la lettre ce principe fondamental : le récit avant tout.



Réinventer la réinvention

Si l'une des marques de fabrique de Slayers repose sur la décomposition des règles de son genre littéraire pour mieux le réinventer, la saga a également créé ses propres codes au fil de ses romans, allant même jusqu'à flirter avec la redondance en milieu de deuxième arc. C'est malheureusement un peu trop souvent que Lina, après une aventure, oblitèrera le méchant mazoku d'un coup de Ragna Blade en fin d'ouvrage, le tout pour refaire la même chose le roman d'après. Dans un coup de génie salvateur, Kanzaka puisera au fin fond de ses dernières ressources pour briser ce schéma lors des romans 14 et 15, chef d'œuvres anti-Try et OVNIS au sein même de leur propre saga.
C'est avec plaisir que l'on découvre une méthodologie d'innovation similaire avec ce 17e roman, qui, non seulement poursuit dans le non-conformisme au genre, mais en plus dans le non-conformisme de ses propres codifications. Ici, ce n'est pas une aventure menant à l'affrontement final contre un haut-mazoku, mais une confrontation avec un haut-mazoku menant à l'aventure. Le schéma est inversé. Cette manière de faire anti-climatique au possible pourra déranger les chercheurs de sensations fortes, mais son exécution, solide, nous fait prendre conscience que c'est bel et bien de voyages et d'aventures dont la série avait besoin pour justifier un nouvel arc. Ainsi qu'un objectif personnel pour Lina, mais nous y reviendrons dans le prochain paragraphe.
Ainsi, si le combat final de ce volume n'atteind pas un climax démesurément épique, il n'en demeure pas moins que la menace sous-jacente est réelle, intéressante et apporte suffisamment de fraicheur pour stimuler l'intérêt et l'attente de la suite.
En outre, c'est un début d'arc, pas une fin. Il faut donc comparer ce qui est comparable. Et ce tome ne souffre aucune comparaison avec le premier ou le neuvième, ouvrant chacun son arc respectif, même si je puis consentir que le premier roman jouit d'une aura unique liée à son statut d'alpha. Et si vous êtes de ceux qui considérez que le tome 16 est le premier roman du 3e arc (je vous aime quand-même) et que le 17e en est donc le second... aucun problème. Il peut sans problème tenir la comparaison avec les romans 2 et 10, que ce soit en terme d'écriture, de voyages, de background, de mythologie, d'événements ou de personnages.
Et en parlant de personnages...


Une quête essentielle pour Lina

Ceux qui ont suivi mes posts le savent, j'étais contre un retour de Slayers si ce dernier intervenait juste après le 15e roman. On l'a vu, à l'image de son auteur, Lina sortait du deuxième arc fatiguée. En fin de quête. Elle avait besoin de rentrer. De se ressourcer. Elle formulait alors le saint vœu de retourner chez elle, auprès de sa famille. Commencer un nouvel arc à ce stade, Lina ayant de nouveau soif d'aventures, aurait été non seulement incohérent envers le personnage, mais surtout irrespectueux. J'étais donc partisan d'un 3e arc qui aurait l'audace de se dérouler plusieurs années plus tard, avec une Lina reposée et plus mature. Que ne fut pas ma déroute lorsque j'appris que le 3e arc prenait bel et bien place avant que Lina et Gourry n'arrivent finalement auprès de sa famille. Quel manque de prise de risque, quelle facilité ! Peu importe ce qu'il se déroule, il suffit de clore chaque fois par "et ainsi Lina et Gourry repartent en direction de chez elle"... en terme de construction et d'évolution des personnages, c'est zéro.
Sauf si.
Sauf si ce besoin d'arriver à son village natal devient sa quête. Son objectif. C'est toujours scénaristiquement facile, mais niveau cohérence ça fonctionne. Et le développement des personnages peut se poursuivre. C'est donc ce revers que va opérer Kanzaka. Alors que Lina et Gourry sont presque arrivés à destination, un imprévu (tout à fait savoureux) les amène à se retrouver tout d'un coup dans un monde nouveau, au delà de la barrière. Perdus. Sans repères. Cette aventure n'est pas un choix. Ce n'est plus "pars et découvre le monde!". Cette aventure s'impose. C'est elle qui est allée chercher Lina et Gourry et eux qui doivent composer avec et trouver un moyen de rentrer. Tout en finesse, tout en subtilité, Kanzaka écrira durant ce roman un échange lourd de sens entre Lina et Gourry sur cette "aventure non désirée en dehors de la barrière" qui me fera finalement accepter ce postulat. La situation est une grande première. Avant Lina voyageait à sa guise et pouvait rentrer quand elle le désirait. Aujourd'hui elle désire rentrer mais ne le peut pas. Retrouver le chemin de chez elle, le chemin du retour, devient alors sa quête, de-même que le titre du roman.
D'ailleurs, on retrouve vraiment Lina et Gourry avec la maturité héritée des romans précédents. Mais également la même accumulation de points d'expérience. Si Lina a dû sacrifier de l'équipement en chemin (et c'est pas dommage), elle demeure au même level, de même que Gourry. Et c'est absolument jouissif. Exit les classiques d'un nekketsu où le nouveau méchant est plus fort que l'ancien, place à la crédibilité. Durant 15 romans, Gourry et Lina ont abattu des ennemis si puissants et cotoyés des personnags si accomplis qu'ils sont devenus la représentation même de la badassitude. Ce sont des slayers ! Ils en ont mérité le titre, de la bouche même de Shabrani Gudu ! Le duo dégage une telle aura que tu ne peux simplement pas inventer dès le départ un méchant trop dangereux pour eux. Ce serait injuste envers les personnages, envers l'histoire, envers la mythologie et envers le lecteur. Car oui, le lecteur a le droit de profiter de Lina et Gourry en mode level master, il les a accompagnés durant toutes leurs aventures, les voyant progresser sous ses yeux. Il mérite de les voir niquer la game, et c'est exactement ce qu'il va avoir avec la première moitié du roman. Parce qu'il le vaut bien.


Araizumi ou le souci du détail mythologique

Nan, j'déconne. Passons.


Maitrise de l'environnement

Ce n'est donc pas un secret, Lina et Gourry se retrouvent fraichement téléportés de l'autre côté de la barrière, sans aucune idée des coordonnées de l'endroit. Perdus dans ce nouveau monde, les slayers doivent faire preuve d'adaptation. Cet extérieur ne se veut néanmoins pas artificiellement exotique ou opposé à ce que nous avons vu précédemment. L'idée n'est pas de mettre en opposition 2 univers mais bien des civilisations aux mêmes racines s'étant développées sans contact l'une avec l'autre. Et c'est plutôt bien fichu car cela repose sur des eusses et coutumes toutes plus intéressantes les unes que les autres, ainsi que des subtilités de langage et de pratiques.
Ici, nul question de découvrir un environnement directement hostile arpenté par des monstres lvl99 comme lorsqu'on s'égare très loin de la ville de départ d'un RPG. L'idée est plutôt inversée (tiens donc). Ainsi, c'est l'intérieur de la barrière qui est dotée du milieu le plus hostile, confrontée aux miasmes et aux vilains tours des mazokus. On pourrait également mentionner le fait que cet espace est coupé de la protection des Shinzoku, ce qui a forcément joué un rôle... mais pas nécessairement dans le sens où on l'entend. Je me réserve le droit d'estimer la bienveillance des Shinzokus à l'égard des humains avec réserves.
L'extérieur, en revanche, semble avoir vécu des siècles plus paisibles. Les querelles entre royaumes y existent également, forcément, mais on demeure bien loin des surenchères en matière d'armement et de magie qu'ont été les années suivants la Kouma War à l'intérieur de la barrière. C'est une chose de savoir qu'il y a potentiellement un Seigneur Mazoku qui dort dans des glaces dans un monde éloigné auquel on n'a pas accès, c'en est une autre de savoir le même bonhomme endormi pas loin de chez soi et de craindre le Raugnut Rushavna. Mais cette paix et cette nonchalance de ce monde extérieur semble cacher un loup. Certains groupes, dans l'ombre, semblent s'assurer que l'humanité suive cette voie. Le prix de la paix extérieure aura peut-être été bien plus élevé qu'il n'y parait. Car si rien n'est clairement écrit allant dans ce sens, on sent qu'un "truc" cloche et c'est justement de ce "truc" dont se sert Kanzaka pour générer l'attente et l'envie de lire les prochains romans. Cela donne du grain à moudre, nécessaire à entretenir la flamme.



Conclusion introductive

Face à un roman de qualité, je rendrai hommage à Kanzaka en concluant par l'introduction :
Les Slayers sont de retour ! Lina espérait profiter d'un repos bien mérité auprès de ses proches, mais c'était sans compter sur la rencontre et la curiosité de trop qui la propulsera, elle et Gourry, bien loin de leur contrée, au delà de la barrière. Confrontés à l'inconnu, ce n'est qu'au fil de rencontres et de découvertes que nos slayers pourront élaborer les stratégies nécessaires pour arpenter le long le chemin du retour.

Courage, Lina ! Ton lectorat te soutient !



Gruic